Recension

Dans « L’hypothèse K » éditions Grasset 2023, Aurélien Barrau explique comment la science s’écarte du réel et propose de la recentrer dessus. Avant toute autre considération, je voudrais exposer les contradictions dans ce livre par rapport à cet objectif.

Contradictions

M. Barrau fait comme si la thèse du réchauffement anthropique était démontrée comme le théorème de Pythagore est démontré. C’est complètement décalé par rapport au réel, selon moi, qui est qu’en science du climat existe une controverse là-dessus. Ce qui est par contre réel, c’est qu’un ensemble de gouvernements – en s’appuyant sur l’hypothèse du GIEC – se sont mis d’accord pour nous faire transitionner du pétrole vers l’électricité.

Deuxièmement, M. Barrau déclare que l’industrie nucléaire n’a pas fait plus de morts que l’hydraulique. Pour le CERI (Comité Européen sur le Risque de l’Irradiation) en 2004, 65 millions de morts sont imputables à l’industrie nucléaire depuis 1945. J’ai moi-même rencontré la fille d’un procureur de Minsk en 1986, réquisitionné pour la première vague de liquidateurs à Tchernobyl, lequel est mort un an plus tard en 1987 d’un arrêt cardiaque. Quand vous vous intéressez au sujet, vous rencontrez une légion d’anecdotes de ce genre, qui ne figurent nulle part dans les publications officielles des chiffres de dégâts occasionnés par l’exposition aux radiations artificielles de l’industrie nucléaire. La simple lecture de « La supplication » de Svetlana Alexeievitch suffit à comprendre que tout a été fait pour minimiser le nombre de victimes officielles. C’est donc un déni de réalité que de continuer à véhiculer ces inepties interminables, et peut-être que le préfixe « inter » est de trop.

Je n’ai qu’une seule chose à dire à M. Barrau : l’élément artificiel Plutonium 239 est 115000 (cent quinze mille) fois plus radiotoxique que le Potassium 40 que nous avons naturellement dans le corps. Si en se désintégrant, le K40 tuait une cellule du corps, le Pu239 en zigouillerait ce même nombre sidérant. Imaginez le poids d’une maison d’un étage ; et maintenant imaginez celui d’un immeuble en comprenant 115000. C’est pour cela que la dose mortelle adulte est évaluée à une poussière contenant entre 1 et 300 microgrammes inhalée : cancer mortel dans les deux ans qui suivent. C’est pour cela qu’on n’expédie pas dans l’espace 300kg de déchets nucléaires : si la fusée explosait dans la troposphère, l’explosion pulvériserait entre 1 milliard et 300 millions de doses mortelles adultes, qu’on peut multiplier par un facteur dix pour les enfants.

Si M. Barrau croit qu’on trouvera un jour une solution aux déchets nucléaires, c’est qu’il croit qu’on pourra faire perdre son caractère radioactif à l’uranium, et alors j’en profite pour demander qu’on le transforme en or au passage. Tout s’éclaire : au Moyen Âge, l’alchimiste allait voir le roi : « Sire, sire, j’ai trouvé comment transformer le plomb en or, il me faut de l’argent pour mon laboratoire ! ». Qu’est-ce qui a changé depuis ? Rien. Cette « science » se regarde le nombril, n’accepte d’évaluation que par ses propres développeurs.

Comment pourrait-on recentrer la science sur le réel tout en continuant à tenir pour réels ses résultats les plus orientés par la seule réussite de projets industriels particuliers ?

Sur l’objectif de la concordance avec le réel

Aurélien Barrau non seulement expose que la science peut s’écarter du réel, mais aussi demande aux scientifiques de comprendre que la science ne peut pas décrire seule le réel, notamment que l’interprétation des modèles scientifiques, la poésie, la morale peuvent aussi décrire le réel. C’est tout à fait juste.

Mais que conseiller d’autre à M. Barrau – et à tout autre lecteur de manière universelle – que de tester l’enseignement de Siddartha Gotama ? Au cinquième siècle avant Jésus Christ, cet homme qu’on a qualifié de « Buddha » (l’être éveillé) a mis au point une brillante technique composée de trois volets, permettant de recentrer l’esprit sur la réalité telle qu’elle est et non pas comme on voudrait qu’elle soit. Pour aller plus loin dans ce domaine, une seule adresse : Vipassana (en langue Palis, littéralement « qui voit à travers ») en France ou ailleurs dans le monde. Vipassana n’est pas une religion organisée, c’est un enseignement qui peut être utile à n’importe qui universellement, afin de purifier l’âme et marcher sur la voie de l’éradication des souffrances.

L’absence de considération pour la spéculation

L’ouvrage de M. Barrau répand de l’obscurité par l’absence de la responsabilité de la spéculation sur le passé de la science. Or, comme l’affirme Georges Bernanos dans « La liberté pour quoi faire ? », non seulement la démocratie moderne cache une dictature économique – cette réalité ne peut pas s’appeler autrement – mais aussi la science moderne n’a pour origine que de satisfaire les objectifs des spéculateurs. Ce sont eux, qui ont attisés l’ingéniosité des machines à tisser pour supprimer les ouvriers du textile dans l’Angleterre du XVIIIè siècle (voir l’histoire des « Luddites », par exemple « Techno-critiques : du refus des machines à la contestation des technosciences » de François Jarrige).

Indépendance de la recherche vis-à-vis de la finance

Je relaie ici une proposition que j’ai rencontrée dans les grands bouleversements des gilets jaunes : tout chercheur ne devrait pas connaître ses financeurs et ceux-là ne devraient pas connaître vers quel laboratoire est orienté leur argent. Ainsi, l’indépendance serait réelle, un financeur n’aurait pas plus d’influence que n’importe quel autre citoyen.

Le prométhome : analogie avec le cancer

La thèse de M. Barrau est qu’on pourrait « penser le développement technique comme un processus metastasique » (p. 182) par analogie au fait que nous avons plus de difficultés à faire cesser ce qui crée les cancers qu’à vivre avec en faisant fabriquer de nouveaux traitements qui le soignent. M. Barrau assume facilement que l’industrie du tabac a créé une fausse science permettant de semer le doute les effets délétères de ses produits. De même, il s’élève contre l’arrivée des algorithmes. Très conventionnellement, il fait l’impasse sur le même processus qui s’est produit dans les autres secteurs, incluant l’industrie nucléaire qui fabrique elle-même ses normes et ses contrôleurs, sa critique et son opposition contrôlée, incluant l’industrie pétrolière qui a financé le narratif du réchauffement anthropique (voir Jacob Nordangard « Les Rockefellers maîtres du jeu » Jean-Cyrille Godefroy éditions 2023), incluant les pharma-dollars qui réussissent à contrôler les politiques publiques sanitaires en leur faveur, tout en imposant les brevets de leurs produits.

Belle tirade à la fin (p. 196) : « Hypothèse K : prolifération technométastasique du cancer numéricomachinique porté par un hôte-humain hébété et engourdi mais déjà symptomatique. Croissance tue-morale. »

Je ne peux que recommander à M. Barrau de cesser de regarder le monde selon le prisme de la science, et d’étudier comment améliorer notre vision du réel, en commençant par admettre les conceptions obscurantistes en matière de nucléaire, de vaccins, de science du climat, même si c’est douloureux ou bien clivant dans l’institution. Il n’y a aucune solution aux problèmes qu’il décrit sans remettre en question ces obscurantismes.

Pour qui ce livre ?

Pour connaître un peu le monde de l’enseignement supérieur, sa propension à propager les enseignements de la dictature économique qui contorsionne la science afin qu’elle lui définisse un cadre d’acceptabilité pour ses produits, je sais que ce livre pourra avoir un effet avantageux. Le peu de bousculade, le faible incrément qui est proposé par M. Barrau, seront appréciés dans cet univers bien particulier, puisque le message provient de l’intérieur et qu’il est adapté à sa capacité à écouter des orientations nouvelles.

F. Boutet – 21 avril 2024

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